1- BD occidentales et chinoises satiriques, une coexistence ancienne
L'humour, la satire et les autres procédés propres à la caricature occidentale ont été introduits dans la colonie de la Couronne par le magazine en langue anglaise
The China Punch, le tout premier magazine de BD produit à Hong Kong. Il a été créé par des journalistes britanniques en 1867 et s'adressait à un lectorat assez restreint, anglophone et familier de ce type de caricature emprunté au magazine anglais
Punch.
The China Punch dénigrait souvent les coutumes chinoises et louait la supériorité de la culture britannique, mais il combinait des éléments occidentaux et chinois. Il constitue ainsi une preuve imprimée de ce mélange de cultures occidentale et orientale qui est propre à Hong Kong. Par exemple, la couverture du 1er numéro nous montre un Occidental en costume de mandarin du gouvernement
Qing ; ses bras grand ouverts semblent accueillir le lecteur dans une pose qui n’est pas sans rappeler
L’Homme de Vitruve. En arrière-plan, le cercle de la planche anatomique de Léonard de Vinci devient un anneau qui ressemble au sceau britannique mais aussi à une porte de lune chinoise ; les dragons, le paysage et les bambous sont, quant à eux, des éléments typiquement chinois.
The China Punch fut l'un des premiers points d'entrée pour les BD politiques en Chine.
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The China Punch, 1867 (auteurs inconnus). |
Le 1er
manhua dessiné par un Chinois à Hong Kong fut
The Situation in the Far East. Imprimé au Japon en 1899 pour contourner la censure du gouvernement Qing, il est constitué d’une seule planche. «
La Situation de l'Extrême-Orient » décrit les dangers politiques qui menaçaient la Chine (les puissances européennes et l’incurie chinoise).
L’auteur, Tse Tsan-tai, né et élevé en Australie, est venu vivre à Hong Kong en 1887, à l'âge de 17 ans. Il devint assez rapidement un partisan et un collaborateur de Sun Yat-Sen et, en 1903, il a cofondé le
South China Morning Post dans lequel L
ily Wong a brillé pendant de nombreuses années.
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The Situation in the Far East, Tse Tsan-tai. |
2- Hong Kong, un refuge
À cause de son statut particulier – détaché de la Chine continentale et de son gouvernement – Hong Kong a offert les conditions favorables à l'émergence, la production et la diffusion de BD politiques chinoises.
Après la 2e guerre mondiale, le strip de 4 vignettes ayant pour thème la vie quotidienne locale est devenu le format standard des manhua hongkongais.
Des années 60 jusqu'aux années 80, les BD politiques constituaient une partie négligeable de la production qui était dominée par les BD comiques et de kung-fu. Les dessins de presse anglophones étaient quant à eux teintés d’humour colonial condescendant.
C’est à partir des années 80, quand la rétrocession de Hong Kong à la Chine a commencé à devenir un sujet de préoccupation, que les BD politiques sont redevenues un genre à la mode. Les auteurs (chinois) de manhua les plus en vue, ainsi que Larry Feign, avaient pour cible principale la politique chinoise et anglaise à Hong Kong et l'incompétence du gouvernement hongkongais.
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© Larry Feign, 2014 pour la version française. |
La loi encadrant les publications ne s'appliquant qu'aux magazines et aux BD, les journaux étaient ainsi à l'abri de la censure. Ce vide juridique a été exploité, notamment par de nombreux auteurs venant de la république populaire de Chine qui avaient trouvé refuge à Hong Kong, à partir du milieu des années 80. C’est pourquoi Larry Feign a eu toute latitude pour fustiger aussi bien le gouvernement hongkongais que Pékin dans The World of Lily Wong. Son comic strip quotidien, alors populaire à Hong Kong mais aussi à Taïwan, était l'une des pages les plus appréciées South China Morning Post, le 1er journal en langue anglaise de Hong Kong. En mai 1995, le comic strip a été supprimé, prétendument pour raisons économiques, mais Larry Feign a toujours prétendu qu'il s'agissait d'un cas de censure, donc, très vraisemblablement, un cas d’autocensure.
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© Zunzi, 2014. |
3- Larry Feign et Zunzi, deux figures de proue
Les auteurs chinois de comic strips, s’inspirant peut-être des dessins de presse occidentaux et/ou ayant pour souci de faire passer leurs messages, ont compris que leurs œuvres devaient avoir trois composantes essentielles : une idée forte/un thème majeur, une représentation de gens ou d'événements et une narration qui pousse à la réflexion.
The World of Lily Wong obéit à cette règle et a été le premier comic strip satirique à paraître quotidiennement à Hong Kong, toutes langues confondues.
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© Daniel Zabo, 1967.
« Selon les continents, la morale se situe au niveau du soutien-gorge ou de la jarretelle. » |
Zunzi (尊子) a été l’un des nombreux auteurs chinois à renouveler le genre de la satire politique à la même époque, dans la presse en chinois.
À part Larry Feign, deux auteurs occidentaux, Daniel Zabo avec son Sweet and Sour, dollars billets doux, dans les années 60, et Helga Lanzendörfer, avec son So This Was Hong Kong, dans les années 80, ont dépeint la vie locale dans des ouvrages qui sont à mi-chemin entre le carnet de voyage et la bande dessinée.
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© Helga Lanzendörfer, 1984. |